Les STO : comment tokéniser des actions ou des actifs financiers réels

Chapitre VIII Article b

Une Security Token Offering ou STO est une offre publique de valeurs mobilières, effectuée grâce à des smart contracts déployés sur une blockchain. Ces actifs numériques (jetons, tokens) présentent les caractéristiques de titres financiers classiques. Il peuvent, par exemple, donner des droits de propriété, de vote, ou des dividendes à ses détenteurs.

Les securities : des contrats d‘investissement

Le terme securities désigne, en anglais, des titres financiers régulés. On pourrait traduire ce mot par « valeurs mobilières » en français. C'est un contrat d’investissement (entre émetteur et acquéreur) qui définit la nature de l'actif. Une security est un titre échangeable et fongible, qui permet à son émetteur de lever du capital.

On peut distinguer trois grandes catégories de securities. Ces titres peuvent représenter :

  • Un droit de propriété sur les parts d'une société (equity) : c'est par exemple le cas des actions (stocks).
  • Une créance. Dans ce cas, la security représente l'argent prêté à une organisation. Par exemple, les obligations d'état représentent une dette, remboursée avec intérêts, à une certaine échéance.
  • Un instrument financier hybride mêlant equity et dette. C'est le cas de certaines actions d'entreprises qui versent des dividendes à leurs acquéreurs.

En France, c'est l’Autorité des marchés financiers (AMF) qui régule le négoce de valeurs mobilières. Aux États-Unis, il est encadré par la Securities and Exchange Commission (SEC). On échange donc des securities sur des plateformes régulées par les autorités financières.

Securities et actifs numériques

La dématérialisation des instruments financiers comme les securities est actée depuis plusieurs dizaines d’années. Avec l’avènement des cryptomonnaies, les smart contracts permettent désormais de créer tous types d’instruments et de produits financiers, à l'instar des jetons émis sur Ethereum.

Ces programmes informatiques autonomes permettent de répliquer et d’appliquer les clauses d’un contrat d’investissement entre deux parties, sans passer par un tiers de confiance. Il est donc possible d'émettre des jetons numériques représentant des valeurs mobilières.

On distingue deux grandes catégories de security tokens :

  • Les security tokens « natifs » : ces jetons numériques correspondent à la création d’une valeur mobilière sur blockchain. Ils définissent un contrat entre une organisation et un détenteur du titre. Les jetons créés lors de la STO permettent alors à leur émetteur de lever des fonds auprès du public.
  • Les tokenized securities (titres financiers « tokénisés ») : dans ce cas, le jeton numérique n’est qu’une représentation on-chain d’un titre déjà existant. La réplication d’une valeur mobilière sur blockchain permet de bénéficier des avantages de cette dernière.

On peut également classifier les security tokens en fonction de leur nature.

Equity tokens

Littéralement « jetons d'équité », ils sont la version blockchain des actions d’entreprise. Ces jetons donnent un droit de propriété sur les parts émises. Le détenteur bénéficie également des droits de votes associés à ses parts. Contrairement à la finance traditionnelle, ce n'est pas un organisme centralisé qui assure l'enregistrement et le transfert de la propriété des titres. Tout est géré sur la blockchain.

Debt tokens

Les jetons de créance : ils représentent un prêt accordé à une organisation ou à une entreprise. Les intérêts sont versés au prorata des fonds investis au détenteur des jetons. Le contrat d'investissement a généralement un terme, un taux d'intérêt, et un modèle de dividendes. Il est inscrit dans la blockchain sous forme de smart contract. Les debts tokens peuvent correspondre, par exemple, à une hypothèque immobilière ou à une obligation d'entreprise.

Asset-backed tokens

Ces jetons représentent un droit de propriété sur un actif déjà existant. Il peut s'agir de commodités comme l'or ou le pétrole, d'immobilier ou même d'œuvres d'art. La blockchain permet de gérer et transférer ces droits de propriété de façon très efficace. Comme nous allons le voir, tous ces security tokens offrent des avantages par rapport aux titres financiers « classiques ».

Quels sont les avantages des STO ?

Dans le monde financier traditionnel, l’émetteur d’une security peut lever du capital sur les marchés publics ou privés. C'est également le cas pour la version blockchain du titre, mais émetteur et détenteurs bénéficient d'avantages additionnels.

Règlement instantané

Grâce aux security tokens, les titres financiers sont dématérialisés sur blockchain. Ils peuvent donc être échangés sans intermédiaire, et très rapidement. La vitesse de règlement dépend de la vitesse de finalisation des transactions sur la blockchain utilisée. C’est un avantage par rapport aux transactions en equity classiques, qui peuvent prendre plusieurs mois.

Transparence

Les smart contracts correspondant aux titres financiers (security tokens) sont publics et n’importe qui peut les auditer. De même, les transactions associées sont également publiques. Les acquéreurs des titres ont donc tous le même degré d'information.

Cette transparence bénéficie au régulateur, lorsque le jeton numérique est enregistré auprès des autorités financières. Le détenteur du jeton en profite également. Il peut tout d'abord consulter et vérifier les informations fournies par l’émetteur. Elles sont de la même nature que celles que l’on retrouvera sur un prospectus classique. Il s’agit par exemple des résultats financiers de l'entreprise, de sa structure de gestion ou encore des risques encourus par l’investisseur. Ensuite, il aura une visibilité sur les transactions et les échanges de titres.

Disponibilité des marchés

Les marchés secondaires dédiés aux security tokens sont accessibles 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Le détenteur de jetons peut ainsi les échanger sans contrainte temporelle, à condition qu’il y ait de la liquidité disponible.

Liquidité

Les security tokens sont émis sur des plateformes mondiales et accessibles pour le grand public. Leur émetteur peut accéder facilement aux liquidités des utilisateurs. Pour les détenteurs du jeton, en revanche, la liquidité est assurée par ses pairs.

Les STO permettent de lever du capital de façon plus ouverte, et sont plus accessibles qu'une introduction en bourse. Pour l'instant, la liquidité des marchés secondaires ne peut pas rivaliser avec celle du CAC 40 ! Cependant, les volumes sont en croissance.

Divisibilité et fongibilité

Les blockchains permettent d’émettre des jetons très divisibles. Ainsi, peu importe la valeur nominale d’un security token : il pourra toujours être divisé dans la limite prévue par son créateur. La fongibilité de ces actifs numériques est assurée par la robustesse de la blockchain utilisée.

Coût

Émettre un titre financier sur une blockchain est beaucoup moins coûteux qu'avec les procédures traditionnelles. Désormais, de nombreux standards de jetons permettent de créer des security tokens légalement pour des coûts faibles.

Security Token Offerings (STO) et Initial Coin Offerings (ICO)

Le terme ICO reste générique : il désigne une levée de fonds en cryptomonnaie. Cependant, on dira aujourd'hui par convention qu'un jeton ICO représente un droit d'usage. C'est le cas de la cryptomonnaie native d'un protocole blockchain (ex : AVAX), ou d'un jeton nécessaire pour utiliser un service (ex : BAT).

En revanche, les jetons STO représentent des droits financiers et/ou de gouvernance.

Les ICO d’antan n’étaient pas régulées et virent fleurir de nombreuses arnaques. Plusieurs modèles de jetons issus d'ICO étaient des securities, de par leurs caractéristiques. Par exemple, tout jeton versant des dividendes sera juridiquement défini comme une security. Ceux qui ont tenté d’émettre ce type de tokens sans passer par les autorités financières compétentes ont eu des problèmes.

La création des security tokens d'aujourd'hui fut donc motivée principalement par des raisons juridiques.

Les STO permettent en effet de bénéficier du même niveau de régulation qu’une offre publique de titres classique. De plus, les avantages technologiques des blockchains assurent un gain de temps et d’efficacité notable. Pour l’entreprise émettrice, l’utilisation d’une plateforme de smart contracts simplifie de nombreuses tâches :

  • Procédures KYC/AML automatisées ;
  • Réduction de la charge de travail juridique grâce aux smart contracts ;
  • Réduction des coûts d’émission du titre ;
  • Simplification de la comptabilité et des audits ;
  • Paiement des dividendes automatique.

Déroulé d'une STO

Le cycle de vie d’un security token peut être découpé en quelques étapes-clé. Le point de départ est la conception théorique du jeton. L’aboutissement donne lieu au listing du jeton sur un marché secondaire. Il peut y être échangé : offre et demande déterminent son prix.

Structuration du jeton

Qu’il s’agisse d’une STO pour un jeton natif ou de la « tokenisation » d'un actif déjà existant, le jeton devra présenter des caractéristiques bien définies :

  • Nombre total de pièces émises ;
  • Type d’investisseurs autorisés ;
  • Juridictions autorisées ;
  • Type d’instrument financier ;
  • Répartition des jetons entre les parties ;
  • Périodes de verrouillage éventuelles.

Un security token peut également comporter des aspects utilitaires. Par exemple, en plus de droits de propriété et de vote, un jeton peut octroyer des récompenses de fidélité, l’accès privilégié à un service, etc.

Structuration de la STO

Cette étape comporte tout le travail nécessaire pour émettre un security token en toute conformité juridique. C’est également à ce stade que sont déterminées les conditions de la vente :

  • Nombre et durée des rondes d'investissement ;
  • Éventuels planchers et plafonds quant au capital investi.

Développement du security token

L’émetteur d’un security token choisit la plateforme de smart contracts adaptée à ses besoins. L’équipe de programmeurs implémente ensuite les différents paramètres du jeton et réalise de nombreux tests. 

Émission du security token

Une fois que le smart contract correspond au titre numérique codé, il faut le déployer. Il ne suffit pas seulement d'exécuter une transaction sur la blockchain choisie. En effet, les modalités d’émission dépendent des juridictions. Par exemple, aux États-Unis, il faut passer par un organisme agréé pour fixer la table de capitalisation. L'organisme supervise aussi le transfert de propriété des titres numériques.

Pour faciliter la gestion des security tokens, plusieurs plateformes peuvent superviser leur émission et leur distribution. Elles peuvent aussi, par exemple, brûler et émettre de nouveaux jetons en cas de perte ou de vol. Bien entendu, en délégant la gestion du risque, le détenteur du jeton n’est pas réellement propriétaire de ses actifs.

Lorsque la phase d’émission est terminée, le jeton est distribué selon les modalités prévues. Il peut alors être négocié sur les marchés secondaires.

Listing du jeton

Le jeton est listé sur des plateformes d'échange (centralisées ou décentralisées). En général, l’entreprise qui a choisi de se faire accompagner par une plateforme de STO pourra bénéficier de la liquidité de cette dernière. Les DEX apportent visibilité et liquidité supplémentaires pour le jeton.

Les détenteurs des jetons peuvent ainsi les négocier, et les investisseurs fixer leurs ordres d’achat et de vente.

Ces marchés secondaires sont un avantage majeur des STO. Ils permettent en effet de négocier en permanence des actifs traditionnellement illiquides, comme l’immobilier ou les œuvres d'art.

Régulation des STO

En 2022, il existe peu de juridictions ayant défini clairement un cadre réglementaire pour les STO. Les security tokens sont donc soumis aux lois sur les valeurs mobilières de l’espace géographique concerné. Cela représente un casse-tête pour l’entreprise souhaitant se plier aux exigences de multiples juridictions.

Certaines plateformes permettent d’effectuer la mise en conformité de sa STO avec les lois financières existantes. L’émetteur d’un jeton numérique sur une blockchain se demandant s’il tombe dans la catégorie « security » utilise généralement la stricte réglementation américaine. Les valeurs mobilières y sont régies par le Securities Act (1933) et le Securities Exchange Act (1934).

Le test de Howey

L’approche américaine repose sur le fameux test de Howey. Il provient d’une célèbre affaire, datant de 1946, portée devant la Cour suprême, entre la SEC et la société W.J. Howey Co.

Le test de Howey permet de confirmer la nature juridique d’une security. Il y a contrat d’investissement selon 4 critères : 

  1. Il y a investissement d’argent ;
  2. Dans une entreprise commune ;
  3. Avec une espérance de gain ;
  4. Ce profit dérivant de l’effort d’un tiers.

Dans le cas de l’affaire Howey, l’entreprise agricole éponyme avait vendu des parcelles de terrain à différents investisseurs. En Floride, les acquéreurs de ces plantations d’agrumes les avaient ensuite louées à Howey (leaseback). L’entreprise Howey exploitait ces parcelles et partageait les bénéfices avec leurs propriétaires. Elle n'avait cependant pas enregistré les transactions auprès de la SEC.

Lorsque la commission se saisit du dossier, le juge détermina qu’il y avait bien contrat d’investissement. En effet, les multiples acquéreurs des parcelles ne les exploitaient pas eux-mêmes. Ils n'avaient aucun expérience agricole. Seule l’entreprise Howey exploitait les plantations. Les acquéreurs des titres investissaient donc en espérant gagner une part des revenus d’exploitation, dépendant d’un tiers.

Ce cas fait désormais jurisprudence. Aujourd’hui, plusieurs entreprises crypto sont confrontées à la SEC pour avoir enfreint les lois sur les valeurs valeurs mobilières. C’est par exemple le cas de Ripple. 

Les STO en Union Européenne

Les STO ne bénéficient pas d’un cadre réglementaire homogène en Union Européenne. Il faut donc se référer, pour chaque pays, aux lois relatives aux valeurs mobilières.

Il y a cependant deux points essentiels :

  • Les investisseurs accrédités peuvent participer aux STO sans limitation ;
  • Les entreprises ont l'obligation légale d’émettre un prospectus à partir d'un certain capital levé. Il varie entre 5 et 8 millions d'euros selon les pays.

Cette limite s’applique aux fonds levés sur l’ensemble des pays de l’UE où se déroule la STO. Ainsi, c'est le pays présentant la limite la plus basse qui est déterminant. Il faut aussi prendre en compte le capital levé au sein de tous les autres pays.

Les plateformes de STO

Il existe de nombreuses plateformes de STO. Certaines se concentrent sur des secteurs précis (comme l’immobilier), d’autres sont génériques. La plupart intègrent des solutions permettant d’alléger la partie KYC/AML pour le porteur de projet. Chacune a sa blockchain préférée. Bien évidemment, Ethereum est très populaire. On retrouvera également Algorand, Stellar ou encore Tezos.

Quelques exemples de plateformes de STO :

  • Polymath, qui possède sa propre blockchain et son propre jeton. Créée par Trevor Leverkor, cette plateforme est dédiée à la tokenisation d'actifs. Elle présente quatre couches opérationnelles : protocole, application, juridique, et négoce. Polymath a également créé le standard des security tokens sur Ethereum (ERC-1440).
  • tZero est l'une des premières plateformes STO, financée à hauteur de 330 millions de dollars. En plus du processus de création et d'émission des tokens, elle propose un wallet et une place de marché.
  • ADDX est une plateforme de STO singapourienne très à cheval sur le volet juridique des STO. Elle effectue une due diligence poussée pour chaque projet, et reste réservée aux investisseurs accrédités. ADDX propose aussi une place de marché.
  • BitBond est l'une des plus ancienne plateformes dédiées aux actifs numérique, créée en 2013. Elle est spécialisée dans les obligations (bonds).
  • Securitize, accréditée par la SEC et la FINRA, et propose différents schémas de STO. Elle propose une place de marché et un accompagnement de bout en bout.
10 STO platforms
Plateformes STO en 2022 : une infographie de 101blockchain.com

Ces plateformes bénéficient à la fois aux porteurs de projet et aux investisseurs. Cependant, bien qu'elles étudient généralement le bien-fondé des STO proposées, cela n'offre aucune garantie. C'est toujours à l'investisseur de réaliser sa propre due diligence avant de miser le moindre centime !

Quel avenir pour les STO ?

Début 2021, le marché des security tokens représentait 18,1 milliards de dollars. Ce chiffre est en augmentation, grâce à la "tokenisation" d’actifs classiques comme l’or et l’immobilier. En 2022, ces asset-backed tokens représentent l'essentiel des jetons échangés. Les projections des instituts spécialisés quant à la croissance du marché sont optimistes.

Projections de croissance pour le marché des STO en Europe (Plutoneo/Tangany).

Les STO sont un investissement intéressant pour les petits portefeuilles. En effet, il est désormais possible d'accéder à des actifs dont la propriété était auparavant indivisible. C'est la cas, par exemple, d'une œuvre d'art ou d'un parc immobilier. Un particulier peut s'exposer aux intérêts générés par la location d'un immeuble au prorata de ses jetons.

Cependant, comme pour tout investissement, il y a une part de risque. L'entreprise émettant les jetons est-elle fiable ? Son business model est-il viable ? Sa STO est-elle conforme à la juridiction ? Le smart contract est-il bien codé ? Quid de la sécurité et de la solvabilité de la plateforme utilisée ? Y aura-t-il suffisamment de liquidité une fois le jeton listé ?

Les STO s'inscrivent dans un large mouvement de numérisation de la finance et de l'économie. Ces titres financiers en sont encore au stade expérimental. À n'en pas douter, les lois qui les encadrent évolueront avec la technologie.