Les stablecoins, un enjeu de souveraineté monétaire

Chapitre IV Article g

Pourquoi les Etats sont-ils si agressifs envers les stablecoins ? - Les déclarations émises par les gouvernements pour critiquer les stablecoins ou appeler à leur régulation intensive sont légions.

Mais est-ce réellement la protection du citoyen qui fonde ces mises en garde ? Il est permis d'en douter. Car la monnaie est à la base du pouvoir étatique tel que nous le concevons aujourd'hui. Et ces derniers voient d'un assez mauvais œil certaines possibilités qu'ouvre l'écosystème crypto à leurs citoyens.

La souveraineté des Etats passe essentiellement par la monnaie

Etre un Etat souverain, c'est être un Etat indépendant vis à vis de l'extérieur, et exercer à l'intérieur une puissance absolue quant à l'édiction et au respect des règles de la nation.

Un Etat souverain monétairement parlant, c'est un Etat qui peut décider seul du medium monétaire qui sera utilisé par l'ensemble de ses citoyens et entreprises nationales. L'Etat décide également, via sa banque centrale, de la création et de la monnaie et gère la politique monétaire.

Ce monopole monétaire permet ensuite à l'état d'imposer le medium monétaire (la monnaie nationale) à utiliser lors du paiement des impôts. Et c'est précisément cette faculté que les stablecoins viennent mettre en défaut.

Ainsi, Tether et Circle qui émettent respectivement l'USDT et l'USDC, soit rien de moins que les deux principaux stablecoins du monde, sont toutes deux des sociétés privées liées aux les Etats-Unis...

Pourquoi les Etats ne soutiennent pas les stablecoins ?

Comme indiqué ci-dessus, un Etat entend que ses citoyens utilisent la monnaie nationale pour régler leurs dépenses, ainsi que pour épargner. Il en va de leur souveraineté et de l'efficacité de leur politique monétaire.

Or, depuis quelques années, de plus en plus de citoyens, quelle que soit leur nationalité, se sont mis à utiliser des stablecoins (souvent basés sur le Dollar américain) qui répliquent le cours d'une autre monnaie que la monnaie nationale et qui, surtout, ne sont pas gérés par des entités étatiques.

Pour les pays européens, ce simple état de fait est un désastre car la plupart des entreprises, entrepreneurs et investisseurs qui souhaitent s'exposer aux cryptomonnaies sont obligés de le faire en passant par une protocole informatique privé, en lien avec les Etats-Unis et qui les force à se délester de leurs Euros pour s'exposer à une monnaie étrangère ou à une réplique d'une monnaie nationale.

De fait, les Etats qui voient leur monnaie nationale être échangée afin de permettre aux investisseurs d'acquérir des stablecoins courent le risque de voir d'importants volumes de leur monnaie gérés par des entités privés étrangères, elles-mêmes soumises à la pression politique d'un autre Etat qui peut (et c'est un euphémisme) ne pas avoir les mêmes intérêts économiques et monétaires.

Les stablecoins, porteurs d'espoir pour les citoyens du monde

Si ces stablecoins représentent une épine plantée dans le pied de la politique monétaire des Etats modernes, ils sont en revanche une solution incroyablement efficace pour d'autres Etats et, surtout, pour les habitants de certains Etats en voie de développement.

En effet, en théorie, les Etats qui font l'objet de sanctions financières internationales pourraient trouver, via les stablecoins décentralisés, la possibilité de s'exposer à des monnaies étrangères et à commercer à l'international pour atténuer la portée de ces sanctions.

Mais surtout, pour les citoyens de pays d'Afrique, d'Asie du Sud-Est, d'Amérique Centrale et d'Amérique Latine, ces stablecoins permettent de se couvrir facilement contre le risque d'hyperinflation de leur monnaie locale qui, souvent, subit de plein fouet la domination du Dollar Américain. Ce recours à la blockchain est également une réponse à la sous-bancarisation qui constitue un obstacle majeur à la liberté d'entreprendre et au développement économique personnel au sein de ces Etats.

Pour ces mêmes citoyens, il est également important de pouvoir envoyer ou recevoir rapidement de la monnaie. L'utilisation de la blockchain et des stablecoins permet d'envoyer et de recevoir de l'argent en quelques minutes, sans avoir pour autant à subir les frais inhérents à l'utilisation du système financier classique.

Evidemment, sauf à ce que la décision d'acceptation des stablecoins comme alternative monétaire soit prise par l'Etat lui-même, ce dernier risque de voir d'un mauvais œil ses citoyens commencer à utiliser une autre forme de monnaie, qu'il s'agisse de la réplique d'une monnaie étatique (USDC, USDT, DAI) ou d'un stablecoin permettant de s'exposer à des métaux précieux (PAXGOLD).

Si l'utilisation des stablecoins devait devenir massive dans certains Etats, ces derniers perdraient le contrôle de la monnaie, ce qui entrainerait de facto l'obsolescence programmée de la politique monétaire menée par ce pays, et par voie de conséquence, de sa banque centrale. Rassurons tout de même les quelques politiques qui liront cet article, nous n'en sommes pas encore là. Et il est certainement plus sain et efficient d'œuvrer collectivement pour une cohabitation des deux systèmes que pour l'éradication totale du premier par le second, ou inversement.

Camouflet pour la souveraineté monétaire Européenne, le premier stablecoin Euro d'envergure est... américain.

Les violentes sorties de nos gouvernants vis à vis des stablecoins sont certainement motivées par le retard qu'accuse l'UE dans le domaine de la blockchain, et des nouvelles technologies en particulier.

Ainsi, le 16 juin 2022, la société Circle, qui est derrière l'USDC, a annoncé la création du premier stablecoin d'envergure basé sur l'Euro : l'EUROC.

Outre le pied de nez que cette initiative constitue vis à vis de la lenteur et de la prudence de la règlementation européenne, l'utilisation massive d'un stablecoin répliquant la valeur de l'Euro mais assujetti à la règlementation américaine constitue une véritable épée de Damoclès avec laquelle les Etats Unis pourront menacer l'Europe. Car l'EUROC, émis par une entité américaine, sera soumis à la règlementation des USA, pourra être gelée sur décision de l'entité émettrice ou sur décision judiciaire rendue aux Etats Unis sans que l'Europe ou les détenteurs étrangers de cette nouvelle cryptomonnaie ne puissent s'y opposer.

Ces problèmes ont été rapidement détectés par la la Banque de France et son gouverneur, Monsieur François Villeroy de Glahau, déclarait le 11 septembre 2020 que :

« En Europe, nous sommes confrontés à des choix urgents et stratégiques en matière de paiement, choix qui auront des implications sur notre souveraineté financière pour les décennies à venir. » 

Les stablecoins avaient également été l'objet du discours introductif de Denis BEAU, premier sous-gouverneur de la Banque de France, lors de Europlace Paris qui se tenait le 15 Janvier 2020 et par lequel il analysait les avantages et inconvénients offerts par cette nouvelle méthode de paiement.

Du constat dressé dans les paragraphes précédents, les états ont rapidement déduit qu'il allait être nécessaire de répondre au feu par le feu, en créant leurs propres monnaies numériques et en régulant massivement l'utilisation des stablecoins existants. C'est pourquoi le chapitre suivant sera exclusivement consacré aux monnaies numériques de banques centrales (MNBC).