L’intérêt institutionnel pour Bitcoin

Chapitre I Article k

Comme vous avez pu le lire dans l'article précédent, Bitcoin a été conçu pour jouer le rôle d'une monnaie au sens littéral du terme. S'il a vocation à devenir une réserve de valeur, ce n'est pas encore le cas aujourd'hui, ce qui ne l'empêche pas d'être un instrument financier à part entière. Comment est-il perçu par les institutionnels, c’est-à-dire les Etats et leurs autorités financières, les banques centrales et les principaux acteurs de la finance traditionnelle ? Leurs visions et leurs positions ont-elles évolué au fil du temps ? C'est ce que nous allons essayer d'analyser dans les lignes qui suivent.

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À l’origine, Bitcoin n'avait aucun intérêt pour les institutionnels

À l’origine, lors de son lancement en 2009, Bitcoin était l’affaire d’un petit groupe de personnes férues d’informatique et de cryptographie et aurait pu ne jamais dépasser les limites de son pré carré.

N'ayant alors aucune valeur et peu d'adeptes, il ne présentait encore aucun intérêt pour les institutionnels. Et heureusement ! En effet, s'ils avaient pris le projet au sérieux dès la publication de son livre blanc, les choses auraient pu être différentes. Pas sûr que l'idée de vouloir se passer de leur avis pour la gestion de la politique monétaire, ou encore qu'ils n'aient pas de contrôle sur les échanges, leur ait plu de prime abord. Ils auraient pu tenter d'étouffer la poule dans l'œuf, de peur de voir le pouvoir leur échapper.

La place qu'occupe aujourd'hui le roi des cryptos est donc en partie liée à la capacité qu'il a eue à passer sous les radars, le temps de prendre assez d'ampleur pour ne plus être arrêtable facilement.

Les institutionnels se sont penchés sur le sujet une fois le fait accompli. Le réseau était déjà bien décentralisé, le bitcoin était déjà utilisé comme médium d'échange et commençait à avoir une valeur non négligeable face aux monnaies traditionnelles. Ne pouvant plus ni l'arrêter ni l'ignorer, elles ont dû prendre position face à Bitcoin.

L'intérêt croissant des Etats et des autorités financières

C'est donc « sous la contrainte » que les institutions publiques ont commencé à s'intéresser sérieusement à Bitcoin.

Le premier communiqué officiel de la banque centrale européenne remonte à 2012 lorsqu'elle publie un rapport sur les cryptomonnaies, qui cible principalement Bitcoin.

Dans ce dernier elle émet notamment les conclusions suivantes :

  • Bitcoin ne présente pas de risque pour la sécurité nationale
  • les cryptomonnaies ne sont pas réglementées et pourraient poser un défi pour les autorités publiques qui voudraient le faire
  • Bitcoin pourrait avoir un impact négatif sur la réputation des banques centrales, si la presse mettait en avant le fait que ces dernières ne font pas correctement leur travail.
  • Le risque présenté par Bitcoin devrait être réétudié en fonction de l'ampleur de son utilisation.

Elle ne s'est pas trompée dans son « diagnostic » initial. En effet, à partir de 2013, l'Allemagne puis Reserve Fédérale des Etats-Unis (FED) ouvrent la voie aux autres Etats, commençant à mettre les mains dans le cambouis en sortant des rapports et des lois sur le sujet. Au fur et à mesure que les particuliers et les entreprises l'adoptent, ils ne cessent de revoir leurs positions.

Aujourd'hui la machine est en marche et un cadre réglementaire, propre à chaque pays, commence à prendre forme, avec toute l'inertie inhérente aux systèmes en place. Les cryptomonnaies en général sont même devenues l'une de préoccupations centrales des autorités financières de nombreux d'entre eux, dont ceux qui tiennent encore les rênes de l'économie mondiale.

Et leurs positions jouent un rôle majeur sur l'intérêt que portent les fonds institutionnels, principaux acteurs de l'économie traditionnelle.

L'intérêt des institutionnels privés pour Bitcoin

Concernant les institutions privées, la problématique est différente et rien ne les a contraints à se pencher sur Bitcoin.

Si c'est le côté technique qui en a attiré certaines, d'autres y sont venus dans une optique de pure spéculation, tandis que d'autres voulaient simplement élargir leur catalogue d'actifs.

Ici aussi, leurs positions ont évolué au fil du temps et de leurs investigations. L'intérêt qu'elles portent à Bitcoin ainsi que l'engagement financier qu'ils y consacrent est aussi bien sûr en lien avec les prises de position des autorités publiques. Leurs poids dans l'économie mondiale n'étant pas négligeable, elles jouent par ailleurs un grand rôle dans les décisions prisent par ces dernières.

Certains comme Grayscale, n'ont pas attendu d'avoir un cadre fixe pour pour proposer un fonds d’investissement basé sur Bitcoin dès 2013. Ils ont ensuite été suivis par de nombreux autres. Aujourd'hui, une grande partie des banques, des fonds d’investissement, des assurances ou des entreprises, s’intéressent à Bitcoin et y consacrent une partie de leur portefeuille.

Les grands noms de la finance ne manquent pas de s'exprimer sur le sujet.

À titre d'exemple, Warren Buffet a critiqué à plusieurs occasions Bitcoin et les cryptomonnaies. Ce dernier a cependant toujours affirmé ne pas investir dans quelque chose qu’il ne comprenait pas. Ceci peut expliquer pourquoi il a raté en partie le virage d'internet et des nouvelles technologies. Toutefois, il a finalement dû prendre le temps de creuser un peu, puisqu'il a fini par s'exposer au bitcoin et aux cryptomonnaies de manière indirecte, en réallouant une partie de son portefeuille consacrée à Visa et Mastercard à la fintech NuBank.

Bill Gates s'est lui aussi exprimé en défaveur de Bitcoin, qu’il considère « destiné aux imbéciles ». Le CEO de son concurrent Apple, Tim Cook, a affirmé quant à lui posséder des cryptomonnaies. Enfin Elon Musk a confirmé posséder du BTC, de l’ETH et du DOGE. De plus, ce dernier avait fait l’acquisition d'1,5 milliard de dollars de bitcoins en 2021 par l’intermédiaire de son entreprise Tesla et de nombreuses rumeurs courent sur le fait que son réseau X acceptera bientôt les cryptos.

Quoi qu’il en soit, les institutionnels qui veulent s'y mettre se heurtent à des difficultés concernant les aspects techniques et législatifs. D'une part, il n'est pas simple pour eux de gérer et conserver leurs jetons en toute sécurité. De l'autre, les autorités financières traînent la patte pour se prononcer sur des décisions clés comme nous le verrons dans le paragraphe qui suit.

Les ETF Bitcoins

Les ETF (Exchange-Traded Fund) sont des instruments financiers très utilisés dans la finance traditionnelle. Ils répliquent la performance d'un actif.

Par exemple, l’ETF Lyxor S&P 500 UCITS ETF reproduit la performance du SP500, le fameux indice boursier américain. Si sa valeur augmente, celle de l’ETF aussi, et inversement.

Pour les gestionnaires de fonds et les investisseurs, les ETF sont des produits beaucoup plus simples à manier que les cryptomonnaies car ils ne dépendent des mêmes lois et ne présentent pas de difficulté technique de stockage.

C'est donc tout naturellement que l'idée de créer des ETF sur Bitcoin a germé. Ils pourraient permettre de s'exposer au jeton, sans devoir réellement le détenir. Ainsi, certains des plus grands fonds d'investissement du monde (BlackRock, d'Ark Invest...) situés aux USA, ont déposé des demandes pour avoir le droit de les émettre.

Les grandes société d'investissement semblent avoir compris le potentiel économique de la blockchain.

Car en effet, il ne suffit pas de vouloir le faire pour pouvoir le faire. Les géants doivent au préalable s'adresser aux autorités financières de leur pays pour obtenir une autorisation. Tous les regards sont donc tournés vers la SEC (Security Exchange Commission), le gendarme financier des USA, en attente de son verdict.

Et celle-ci semble pour l'instant bien embêtée, car sa réponse ne doit pas être arbitraire et doit s'appuyer sur les lois en vigueur (qui ne vont pas forcément dans son sens). Aussi, elle repousse actuellement sa décision autant que la loi le lui permet.

Il existe plusieurs types d'ETF, notamment les « spots » (au comptant) et les « futures » (à terme). Sans entrer dans les détails, les « futures » suivent les performances des contrats à terme tandis que les « spots » suivent le cours de l'actif (et intéressent davantage les investisseurs). Après avoir rejeté les demandes d'ETF futures à partir de 2017, la SEC à fini par les accepter en octobre 2021. C'est alors 570 millions de dollars US qui avaient été investis sur l'ETF dès le premier jour !

Ici la demande concerne les ETF « spot ». C'est potentiellement plusieurs dizaines, voire centaines, de milliards de dollars US qui pourraient être investis sur ce support s'il voyait le jour, avec des retombées certaines sur le prix du jeton (hausse du cours et baisse de la volatilité), l'adoption et le futur de Bitcoin.

La suite

Les prévisions laissent à penser que le marché de la blockchain prendra de la plus en plus de place dans l'économie de demain.

La taille du marché blockchain d'ici 5 ans sera énorme
Graphique qui estime la taille du marché blockchain d'ici 5 ans

Si aucune certitude n'existe quant aux décisions qui seront prises, il est certains que le cadre sera de plus en plus défini. Les institutions privées comme publiques ont déjà mis le pied à l'étrier et la machine est en marche.

Si parfois leurs intérêts s'opposent, les deux camps sont bien « armés » et habitués aux combats juridiques du style de celui qui se jouent actuellement sur les ETF. En Europe la loi MiCA (« Markets in Crypto-Assets ») adoptée depuis avril 2023 démontre que les autorités prennent aussi les choses en main. En Asie, la Chine et l'Inde se positionnent encore de façon changeante et tandis que l'Indonésie et Singapour semblent vouloir créer un environnement favorable aux acteurs du secteur. En Amérique du Sud, le pas de l'adoption étatique a été franchi par le Salvador qui a fait de Bitcoin une monnaie légale. En Afrique de nombreux pays s'y intéressent de près même si certains n'ont pas encore pris de positions officielles.

Partout sur la planète, les institutionnels sont déjà montés dans le train des cryptomonnaies tracté par la locomotive Bitcoin. Il faut tout de même se souvenir que le temps des individus et des entreprises privées n’est pas celui des États et des gouvernements, qui ont une inertie beaucoup plus importante. Les décisions des uns impactent bien souvent celles des autres, et quelques années seront encore sûrement nécessaires pour que leurs positions soient un peu plus figées. Une chose est sûre cependant, si l'adoption se fait, Bitcoin aura besoin de solutions telles que le Lightning Network pour être adapté à une utilisation massive, comme nous le verrons dans l'article qui suit.