La finance décentralisée, autrement dit la DeFi pour decentralized finance, ne cesse de prendre de l'envergure, attirant des millions de nouveaux utilisateurs chaque année. Actuellement le secteur à la croissance la plus rapide dans l'espace de la blockchain et des cryptomonnaies, cette dernière retient l'attention des institutions qui pourraient bien, à l’avenir, l’intégrer dans le système financier traditionnel. Partant de ses débuts modestes en fin 2017, la DeFi a gagné du terrain dans la communauté et progresse au quotidien dans un écosystème en constante évolution.
Mais qu’est-ce réellement la finance décentralisée ? Quels sont ses enjeux et son intérêt au cœur de notre société ? Comment est-elle contrôlée et quels en sont les risques ? C'est ce que nous allons voir au travers de cet article.
Sommaire
Qu’est-ce que la DeFi ?
Quand on parle de finance décentralisée, on parle de finance, autrement dit d’économie.
En quelques mots, l’économie fonctionne sur un principe simple d’échange entre l’offre et la demande. Là où les banques contrôlent la monnaie et son flux d’impression (l’offre), toute personne percevant de l’argent représente la demande. On parle alors de finance centralisée au vu des échanges contrôlés, régulés et émis par les banques, elles-mêmes contrôlées par une minorité de personnes.
Dans un écosystème où l’offre est tout autant décentralisée que la demande, que les échanges sont effectués en dehors de tout contrôle institutionnel et que des services financiers y sont proposés, on parle alors de finance décentralisée. Cherchant à construire un meilleur paysage financier et rendue possible par l'avènement d'internet et de la technologie de la blockchain, la DeFi a pour objectif d'améliorer les systèmes bancaires traditionnels ainsi que ses modèles de gouvernance.
Plus définie comme une révolution mathématique qu’une révolution philosophique, la DeFi ne fait que reprendre les codes de la finance traditionnelle pour les rendre plus accessibles, décentralisés et transparents. Les acteurs, les actifs et les échanges sont désormais mis hors de contrôle d’un éventuel tiers de confiance, tels que les banques, les assurances, ...
Les actifs passent donc de monnaie fiat (monnaie gouvernementale) à cryptomonnaies. Les échanges passent d’établissements financiers aux blockchains et à leurs réseaux décentralisés, tandis que l’identité des acteurs devient protégée en étant entièrement pseudonyme. Tous ces changements apportés par la DeFi font qu’un écosystème financier à part entière est en train de naître en parallèle avec la finance traditionnelle.
Là où les banques vont suivre toutes vos dépenses, taxer vos échanges et contrôler l'émission d’argent, dans la finance décentralisée les utilisateurs évoluent dans un écosystème universel plus juste, sans frontières et entièrement transparent aux yeux de tous. La DeFi est donc accessible à toute personne disposant d’une connexion internet et d’une adresse décentralisée (gratuit et ouvert à tous).
Comment la DeFi est-elle apparue ?
Pour comprendre la DeFi, il faut retracer son histoire. Tout commence lors du lancement de Bitcoin qui fût la première blockchain lancée en 2008 avec un réseau et un actif entièrement décentralisés. Pour la première fois, nous avions un écosystème où n’importe quel utilisateur pouvait consulter l'entièreté des transactions effectuées sur le réseau, sans pour autant savoir qui se cache derrière une adresse, d’où la notion de pseudonyme.
Ethereum
A ce stade, on pourrait croire que tout cela suffit pour parler de DeFi, mais… pas réellement.
Nous sommes, toujours loin d’avoir un écosystème financier aussi achevé et efficace que celui qui nous entoure au quotidien. Pour cela, il fallait concevoir un environnement bien plus complet avec notamment un ensemble de services financiers, tels que des assurances, des crédits, des prêts, des emprunts, des produits dérivés, des levées de fonds, ... mais aussi, une liquidité totalement décentralisée.
Et c’est là qu'Ethereum entre en jeu avec son concept révolutionnaire de smart contract et de token. Il ne s'agit pas d'épiloguer sur le sujet, mais les smart contracts, ou contrats intelligents, et la tokénisation de nos biens physiques sont au cœur du développement de la DeFi. Les smart contracts permettent à n’importe quel utilisateur de venir développer son application ou son token sur le réseau Ethereum, tout en profitant de sa sécurité, de sa scalabilité et de ses utilisateurs. Très souvent, un token est lancé avec son application pour permettre son fonctionnement, souvent définie comme un token de gouvernance. On parle alors de tokenomics en rapport avec les caractéristiques économiques d’un token établies par le développeur en question (nombres de jetons émis, pourcentage de taxes, …).
Vitalik Buterin, co-fondateur ' Ethereum, s'est focalisé sur l’accessibilité pour que n’importe quel développeur puisse enrichir le réseau de façon open-source. Bitcoin est donc vu comme la première application aboutie d’une révolution mathématique et cryptographique, tandis qu'Ethereum est perçu comme la première application aboutie d’une révolution financière.
MakerDAO
C'est fin 2017 que la DeFi verra véritablement le jour, avec l’arrivée de MakerDAO. MakerDAO est un protocole décentralisé, avec une série de smart contracts (donc développé sur le réseau Ethereum) qui donnera naissance au premier stablecoin algorithmique, le DAI. À la différence du Bitcoin qui est un actif volatil, le DAI est une monnaie stable qui se base sur le cours du dollar américain. Très pratique pour garder son argent au chaud, 1 DAI est donc égal à 1 dollar.
La création d’une monnaie stable, dont l’émission est entièrement décentralisée et repose uniquement sur l’écosystème crypto, fut la pierre angulaire de la naissance de l’écosystème DeFi. MakerDAO sera aussi à l’origine des premiers prêts décentralisés basés sur le concept de dépôt de tokens ETH (monnaie du réseau Ethereum) contre un prêt émis en DAI (stablecoin), fourni par la plateforme.
Par exemple, si vous déposez 1 ETH d’une valeur de 4 000 dollars, il est possible de générer 2 000 DAI, soit 2 000 dollars. Ensuite, vous aurez le loisir de faire ce que bon vous semble des 2 000 DAI. Cependant, pour récupérer votre ETH déposé, il sera nécessaire de d’abord rembourser l’argent généré. Un premier système de prêt verra le jour, sans aucun contrôle et intervention d’un tiers de confiance. Le protocole devient donc automatisé et sécurisé par les smart contracts.
Les ICO
Les ICO (initial coin offerings) sont aussi venues tout bouleverser en 2017. On pouvait désormais financer et lever des fonds pour son projet, sans passer par la finance traditionnelle. De nombreux projets verront ainsi le jour grâce à des financements opérés via des levées de fonds entièrement décentralisées, telles qu'Aave, Bancor ou encore Synthetix. L’argent ne venait plus de grands contributeurs, mais bien de petits et gros investisseurs privés pouvant investir pour aider au financement d’un projet sans contrainte hiérarchique. Pour la petite anecdote, MakerDAO sera le premier projet décentralisé à être soutenu financièrement par une VC (venture capital), une branche de fonds d’investissement traditionnel investissant dans des startups.
Uniswap
Cependant, c’est en 2018 que le concept de liquidité sera retravaillé et optimisé au goût d’une DeFi devenant mature et autonome. Nous avions des protocoles décentralisés (MakerDAO), des stablecoins (DAI), des levées de fonds (ICO), mais toujours pas de place de marché où l’on pouvait échanger nos monnaies entre elles sans passer par un échange centralisé.
Et c’est Uniswap qui ouvrira le bal en étant le premier AMM (automated market maker) venu rendre le concept d’exchange de cryptomonnaies, décentralisé (DEX). Se basant sur la liquidité des utilisateurs, non sur la liquidité de plateformes centralisée, telle que Binance, ils concurrenceront les CEX (centralized exchanges) à grande vitesse. Pour ce faire, Uniswap introduira le concept de liquidity pool et de liquidity provider. Là où nous payions des frais à la plateforme centralisée qui nous fournissait les jetons nécessaires pour effectuer votre échange, sur Uniswap nous payons des frais à la personne qui nous fournit sa liquidité, autrement dit les liquidity providers.
Prenons l'exemple de Marc (liquidity provider), venu déposer une paire de liquidités ETH-DAI, et d’Elodie, cherchant à échanger ses tokens ETH contre du DAI. Au lieu de passer par Binance et de payer les frais à la plateforme, Elodie se rend sur Uniswap pour effectuer son échange. En cliquant sur le bouton « swap », les jetons d’un liquidity provider, comme ceux de Marc, seront choisis et serviront à l’échange. Ce faisant, Elodie récupéra ses DAI, d’une valeur équivalente aux ETH échangés, tout en ayant payé des frais à Marc pour avoir fourni sa liquidité durant l’échange.
Par la suite, de nombreux protocoles et dApps (applications décentralisées) verront le jour. D'autres blockchains seront aussi lancées, permettant la diversification de projets. Certaines compatibles avec Ethereum, d’autres non, l’enjeu d’avoir une blockchain (un réseau) des plus scalables, sécuritaires et décentralisées sera lancé.
DeFi : quels enjeux pour notre société ?
Au-delà de vouloir concevoir un écosystème financier décentralisé, l’enjeu de la DeFi est aussi d’améliorer les modèles de gouvernance tels que nous les connaissons aujourd’hui.
En décentralisant la liquidité et le pouvoir étatique, en redistribuant les frais équitablement aux acteurs ayant réellement contribué à l’échange et en accordant le droit de vote aux prises des décisions importantes à toute personne engagée et impliquée, nous améliorons aussi l’aspect politique et social. De plus, la facilité du réseau à se développer et à évoluer en permanence en fait un écosystème durable dans le temps. Nous avons particulièrement pu le voir récemment avec The Merge d'Ethereum. Pour proposer un modèle de gouvernance en vue du monde de demain, quatre gros points ont été revus : le paiement, la décentralisation, la transparence et l'accessibilité.
Le paiement
En voulant d’une part faciliter l'envoi et la réception d’actifs, notamment de l’argent, la DeFi résout des problèmes liés aux frontières.
Certains frais exorbitants et le délai de réception parfois très long peuvent rapidement vous couper l’envie d’envoyer de l’argent vers un autre pays. Basé sur un réseau universel, ce souci est rapidement réglé notamment dû à l’envoi rapide en peer-to-peer (pair-à-pair), via internet et la blockchain. De plus, la DeFi ne dispose quasiment d'aucun intermédiaire. Celle-ci permet donc d’obtenir des rendements souvent bien plus intéressants que les services financiers traditionnels dans lesquels chaque intermédiaire va prendre sa part.
La décentralisation
En outre, le système financier traditionnel tel que nous le connaissons peut paraître trop centralisé.
Malgré le fait que les lois gouvernementales fassent des banques un lieu sûr pour y stocker son argent, elles ne sont pas sans faille. La crise financière mondiale de 2008 a notamment illustré les limites du système. Les subprimes et la chute de Lehman Brothers ont entraîné une succession de faillite à travers le monde provoquant une crise mondiale. La centralisation du pouvoir et des fonds peut être dangereuse lorsque les décisions et lois attribuées à ces banques ne sont pas optimales. En DeFi, les lois et décisions prises pour faire évoluer le réseau sont votées entre investisseurs. On appelle cela une DAO (decentralized autonomous organization).
La transparence
La transparence joue aussi un rôle important dans notre économie. Les investisseurs devraient tous avoir accès à l’information à parts égales.
Quand on voit que les agences de notation de crédit ont donné des notes AAA aux titres adossés à des créances hypothécaires à haut risque, ce qui entraînera la crise des subprimes, nous pouvons remettre en question la légitimité du système financier traditionnel. Basée sur un concept de blockchains, la DeFi se veut être beaucoup plus transparente. Dans le même principe, n’importe quel chercheur, scientifique, cryptographe, mathématicien… peut venir apporter sa pierre à l'édifice en partageant son avis ou proposant ses idées sur l’évolution de la DeFi via le site : https://ethresear.ch .
L'accessibilité
Enfin, l'accessibilité est aussi remise en cause. Lorsque l’on doit fournir un pavé de documents, s’assurer d’être de la bonne nationalité ou être né dans le bon pays pour ouvrir un compte bancaire, on parle alors d'inégalité. Savoir où stocker son argent, où l’épargner et comment l’envoyer à un proche à l’autre bout du continent peut relever d’une vraie difficulté pour certains. La DeFi, elle, représente un mouvement qui cherche à promouvoir des produits financiers sans frontières et sans censure. Les protocoles décentralisés ne font pas de discrimination et uniformisent les règles du jeu pour tout le monde.
DeFi : quels en sont les risques ?
Il ne faut cependant pas fermer les yeux sur les éventuels risques et problématiques que la DeFi peut apporter. Une situation due au fait que n’importe quel utilisateur puisse créer son propre smart contract et le publier sur le réseau, certains peuvent être frauduleux.
Des fonctions cachées et un code malhonnête peuvent être à l'origine d’un siphonnage de wallet. Cette pratique consistant à vider votre portefeuille en vous faisant signer une transaction est notamment l’un des risques majeurs.
Pour rappel, à chaque action effectuée sur la blockchain, vous devrez signer ou approuver une transaction. Si la plateforme sur laquelle vous naviguez n’est pas auditée, vous devrez être très méfiant. Souvent comparé aux dizaines de pages des conditions d’utilisation que personne ne lit lorsqu’on rentre sur un site internet, le détenteur d’un portefeuille décentralisé doit toujours être regardant sur la signature ou l’approbation d’un smart contract, qu’il peut d'ailleurs consulter dans son entièreté. Mais cela n’est pas la seule pratique frauduleuse, car vous pourrez aussi subir des hacks dus à un téléchargement de fichiers frauduleux.
En téléchargeant un fichier malsain sur votre ordinateur, ce dernier pourrait hacker votre portefeuille ainsi que sa seed phrase (des mots générés aléatoirement pour protéger votre wallet). Vous ne pourrez, à ce moment-là, vous retourner contre rien ni personne pour retrouver vos fonds, puisque la DeFi est totalement décentralisée. En 2021, l’écosystème DeFi a ainsi été le théâtre de la perte de 680 millions de dollars lors de hacks. Alors, soyez attentifs !
La liquidation est aussi un autre fléau de la DeFi, qui a été malheureusement au cœur des sujets à risque en 2022. Chaque protocole propose des prêts, des emprunts, des crédits ou du staking pour épargner son argent, pour détenir une trésorerie. En cas de forte chute du prix du token ou de retraits massifs sur la plateforme, cette dernière peut se couvrir avec ses fonds issus de la trésorerie. Cependant, il se peut que la trésorerie ne soit pas suffisante pour se couvrir d’une éventuelle liquidation. Dans ce cas-là, il est possible que la plateforme ne puisse être en capacité de remboursement auprès de ces utilisateurs. C’est un cas assez rare, puisque les tokenomics et la trésorerie sont souvent longtemps étudiées par l’équipe derrière le projet et, par la suite, auditées pour éviter ce genre de situation. Cependant, Terra (LUNA) ou encore Celsius en ont fait les frais en 2022.
L’un des plus gros risques que la DeFi peut aussi connaître provient d’une régulation hasardeuse. En effet, avec l'ampleur à laquelle l’écosystème se développe, les États souhaitent imposer une régulation au plus vite (comme la loi MicA). Malheureusement, étant un phénomène assez récent, peu de gens comprennent réellement ce qu'est la DeFi et comment elle fonctionne. Si une régulation précipitée est imposée ou si des États décident, eux aussi, de se lancer dans l’aventure, il se peut que ce soit néfaste sur le long terme.
Maintenant que vous êtes plus familier avec les concepts qui se cachent derrière le mot DeFi, nous allons voir au travers d’un second article comment entrer dans l'écosystème et faire partie de ce mouvement. Comme nous l’avions dit au travers de l’article, c’est un réseau sans frontières qui se veut universel. Vous n’aurez donc aucun mal à vous configurer un portefeuille décentralisé pour naviguer dans l’écosystème. Vous pourrez consulter les premières applications, les premiers protocoles, découvrir les différentes fonctionnalités que le réseau apporte, notamment consulter vos transactions en toute transparence, voter aux futures décisions d’un projet, épargner sur différents plans d’investissement, …