Une bête déjà trop massive pour être parfaitement définie? - Expliquer précisément ce qu'est Ethereum est certainement voué à l'échec, tant son développement est rapide et son architecture complexe. Par ailleurs, ses usages et applications potentiels sont constamment redéfinis et élargis, tandis que les innovations se multiplient sur le réseau. À travers 10 grandes questions d'ordre général, nous allons tenter d'appréhender au mieux ce que représente le réseau mondial décentralisé Ethereum.
Qu'est-ce qu'Ethereum?
Comme précisé dans le white paper (livre blanc, synthèse dont l'objectif est de décrire de façon claire et plus ou moins détaillée un projet, non spécifique à la technologie Blockchain) publié en 2013, Ethereum est une plateforme d'applications décentralisées et de contrats intelligents de nouvelle génération.
Il s'agit d'un réseau fonctionnant de pair à pair, à structure horizontale, ne nécessitant aucune permission pour être utilisé, et sans besoin d'une entité centrale pour garantir la confiance en son sein. Ce réseau est constitué d'un type de registre distribué appelé blockchain, permettant un horodatage des transactions et garantissant in fine l'impossibilité de double dépense.
Ethereum intègre un langage de programmation Turing-complet ad hoc nommé solidity, développé par Gavin Wood, permettant à toutes et tous de rédiger des contrats intelligents et des applications décentralisées plus simplement qu'avec un langage non Turing-complet ne prenant pas en charge les boucles, comme c'est le cas du langage de script Bitcoin.
La blockchain Ethereum a vu le jour le 30 juillet 2015, avec la création du premier bloc du registre, nommé «Genesis Block».
À noter : le réseau est dénommé Ethereum tandis que le coin utilisé sur le réseau est l'Ether, abrégé ETH. Nul doute qu'il existe une analogie avec le concept d'éther, anciennement décrit par les physiciens et maintenant désuet, correspondant à un fluide remplissant les espaces situés au-delà de l'atmosphère terrestre.
Qui dirige Ethereum?
Ethereum n'est pas une entreprise, et aucune entité ne contrôle le réseau. Le projet a certes été pensé par Vitalik Buterin, jeune informaticien Russo-Canadien alors âgé de 19 ans, rejoint peu de temps après par 7 autres personnes dont Gavin Wood qui rédigera le papier de Proof of Concept puis le «yellow paper» précisant toutes les spécifications du réseau. Il n'en demeure pas moins très décentralisé, bien que certaines entreprises aient un rôle particulièrement crucial dans le développement d'Ethereum, toujours en cours. Ce dernier fonctionne exclusivement grâce à la participation et la coopération décentralisées des utilisateurs.
Il est important de comprendre que le déploiement du réseau est loin d'être terminé. De nombreuses étapes restent à venir, Vitalik Buterin estimant qu'Ethereum n'en est qu'à environ 50% de son développement.
Ethereum utilise des nœuds (copies des données de la blockchain Ethereum) exécutés par les utilisateurs du réseau qui le souhaitent, permettant de remplacer serveurs individuels et systèmes cloud détenus par les mastodontes d'internet. Ce mode de fonctionnement permet à l'infrastructure du réseau d'être particulièrement résiliente face aux hacks et coupures de réseau transitoires. Pour preuve, Ethereum n'a jamais cessé de fonctionner depuis son lancement en 2015.
Comment fonctionne la gouvernance d'Ethereum?
N'ayant pas d'entité centrale permettant de donner des instructions et de prendre des décisions concernant l'évolution de la blockchain, Ethereum fonctionne selon un modèle de gouvernance décentralisée. Toute personne ayant accès à internet peut ainsi proposer des modifications du protocole et participer à la gouvernance, afin de contribuer au développement du réseau.
Les modifications de protocole fonctionnent via l'émission puis l'adoption d'EIP (ethereum improvement proposals). Les EIP sont des normes permettant de spécifier des idées de fonctionnalités à apporter. N'importe qui peut créer une EIP.
La gouvernance d'une blockchain décentralisée peut avoir lieu on-chain ou off-chain.
- Dans le cas des organisations décentralisées autonomes ou DAO, le vote a lieu on-chain. Le pouvoir de vote est généralement proportionnel au nombre de jetons détenus. Ce mode de gouvernance est particulièrement décentralisé, mais peut s'avérer inefficient, en particulier si le réseau est en constante amélioration.
- Dans le cas d'Ethereum (et d'autres), la gouvernance a lieu off-chain. De nombreux acteurs sont impliqués, avec un poids variable dans le processus de prise de décision selon la proximité avec le protocole : développeurs de protocole qui maintiennent les principales implémentations d'Ethereum, mineurs (jusque septembre 2022) et validateurs, auteurs des EIPs, opérateurs de noeuds, développeurs d'applications, et enfin utilisateurs d'applications et détenteurs d'ETH.
Quel mécanisme de consensus est utilisé afin de faire fonctionner Ethereum ?
Lors du lancement de la blockchain en 2015, Ethereum fonctionnait selon les mêmes principes que ceux régissant la blockchain Bitcoin : un mécanisme de preuve de travail (Proof of Work ou PoW) nécessitant de la puissance informatique afin de garantir l'imprédictibilité du prochain acteur en charge d'intégrer un bloc, associé à la règle selon laquelle la chaîne ayant accumulé le plus de travail fait foi. Tout ceci permettant d'arriver à un consensus quant à l'historique des transactions effectuées sur le réseau, sans nécessité de faire confiance aux autres utilisateurs.
Quelques différences subsistaient néanmoins. La plus notable est l'utilisation d'un algorithme de hachage différent :
- SHA-256 pour la blockchain Bitcoin
- Ethash pour la blockchain Ethereum, dont l'objectif initial était d'être résistant aux machines de minage appelées ASICs, spécifiquement dédiées au minage du bitcoin
L'un des points cruciaux concernant la preuve de travail est la nécessité d'adapter la difficulté de minage selon le taux de hachage (hashrate) du réseau. Sans quoi il sera impossible de garantir le rythme auquel sont créés les blocs, et in fine la cadence d'émission monétaire du protocole.
Depuis l'évènement tant attendu et médiatisé The Merge, le 15 septembre 2022, la blockchain Ethereum a vu son mécanisme de consensus – ou plus précisément la méthode permettant de sélectionner le nœud en charge de l’intégration du prochain bloc de la chaîne - évoluer de la preuve de travail à la preuve d’enjeu (Proof of Stake, ou PoS).
Le mécanisme de preuve d'enjeu consiste à sélectionner aléatoirement le validateur chargé de l'intégration du prochain bloc à la chaîne, avec une probabilité d'être sélectionné proportionnelle au nombre de jetons du protocole immobilisés (ou stakés). Il s'agit sans équivoque d'un changement de paradigme majeur, notamment concernant la dépense énergétique nécessaire au bon fonctionnement du réseau. En effet, la consommation énergétique d'Ethereum a été diminuée par 99.9% depuis cette transition.
On parle donc désormais du réseau Ethereum 2.0, bien que cette appellation ne soit plus d’actualité car pouvant porter à confusion : la désignation du réseau reste donc officiellement ‘’Ethereum’’. En effet, le réseau n’a pas vraiment ‘’évolué’’, il s’agit simplement d’intégrer la beacon chain (consensus layer ou couche de consensus fonctionnant en preuve d’enjeu, anciennement ETH 2.0) au réseau ‘’principal’’ (executive layer ou couche d’exécution, anciennement ETH 1.0, laquelle intégrait la preuve de travail avant The Merge).
Cette modification du réseau n'est qu'une étape de la roadmap ambitieuse du projet Ethereum.
Quelle méthode d'incitation permet d'attirer les validateurs sur le réseau?
Tout comme les mineurs sur le réseau Bitcoin qui reçoivent, en plus des frais de transaction, des BTC fraîchement émis lors de l'intégration de chaque nouveau bloc, et dont le nombre est divisé par 2 tous les 4 ans lors du «halving» (récompense actuelle de 6.25 BTC par bloc), les validateurs sur Ethereum ont une incitation financière à participer au bon fonctionnement du réseau.
Lorsque le réseau Ethereum fonctionnait encore en preuve de travail, chaque mineur intégrant un nouveau bloc à la chaîne recevait une quantité fixe d'ETH (bien que décroissante de 5 ETH à 2 ETH suite à des mises à jour successives) ainsi que les frais des transactions incluses dans ce bloc. N'ayant pas intégré de système de halving, le réseau produisait ainsi une inflation d'environ 4% par an.
Depuis son passage en preuve d'enjeu, le fonctionnement des récompenses s'est métamorphosé en se complexifiant. Les validateurs reçoivent maintenant des ETH à la fin de chaque «epoch», composée de 32 slots, pouvant chacun inclure un bloc. Le montant reçu est obtenu grâce à un calcul relativement simple prenant en compte 5 paramètres, incluant bien sûr la proposition d'un bloc dans le slot approprié. Existent également des mécanismes de pénalité et «slashing» en cas de mauvaise conduite du validateur.
La blockchain Ethereum fournit ainsi une incitation robuste à participer de façon loyale au réseau.
Combien d'ETH le protocole compte-t-il?
La supply (quantité de jeton) d'Ethereum au moment du Merge était d'environ 121,5 millions d'ETH. Rappelons que les créateurs du réseau ont «préminé» 72 millions d'ETH. Contrairement à la blockchain Bitcoin dont la première unité fut minée de la même manière que toutes celles qui suivirent, Ethereum a eu recours à cette méthode dans l'objectif de pouvoir financer les recherches ultérieures. C'est ainsi que l'ICO (initial coin offering) d'Ethereum en 2014 a permis de vendre 60 millions de «futurs ETH». Seconde ICO de l'histoire après celle de Mastercoin sur le réseau Bitcoin en 2013, les ETH étaient proposés à la vente contre des BTC, permettant de collecter pas moins de 4740 BTC.
La supply totale est destinée à évoluer dans le temps. Initialement en preuve de travail, le réseau produisait une inflation constante. De nombreux mécanismes sont intriqués, par exemple la quantité de jetons brûlés du fait de l'EIP-1559 qui a instauré un système de frais de base brûlés lors de chaque transaction. Le taux d'inflation dépend donc directement de la quantité de transactions réalisées dans une période de temps donnée.
Sur le long terme, Ethereum projette d'être déflationniste dans le cas où l'adoption se continuerait.
Vous pouvez utiliser ultrasound.money afin de suivre les métriques relatives au réseau Ethereum.
Ethereum est-il respectueux de la vie privée?
Tout comme la grande majorité des blockchains existantes actuellement, Ethereum peut être considéré comme pseudonyme, dans le sens où l'ensemble des transactions est public, mais également immuable. Il est donc aisé de retracer toutes les transactions liées à une adresse publique. Une simple connexion internet permet d'accéder au registre distribué Ethereum et d'y trouver toute transaction effectuée sur le réseau dans le passé.
La notion de vie privée est donc un enjeu majeur, particulièrement fragile. La nécessité de réguler cette innovation technologique, notamment via la mise en place de KYC sur les plateformes centralisées (seules rampes d'accès off/on-chain), risque d'altérer le pseudonymat conféré par la blockchain.
Il est évident qu'au fur à mesure de son développement, Ethereum s'enrichira de solutions afin de conserver la vie privée lors des transactions. Citons en exemple les preuves à divulgation nulle de connaissance (zero-knowledge proofs ou ZKP) dont l'application aux blockchains semble toute trouvée, par ailleurs déjà utilisées par des solutions de seconde couche (ZK Rollup) pour l'amélioration de scalabilité qu'elles offrent.
Ethereum est-il résistant à la censure?
Le caractère décentralisé de la blockchain Ethereum ne la prémunit pas contre un risque potentiel de censure. La décentralisation totale est vraisemblablement utopique, il existe nécessairement une forme de centralisation dans l'une des composantes du système.
Il n'était recensé aucun phénomène de censure depuis sa création jusqu'au passage en preuve d'enjeu. Le débat a surgi après The Merge, et plus spécialement après la sortie de MEV-boost (Maximal Extractable Value boost), implémentation de la «proposer-builder separation» (PBS) développée par Flashbot. Concrètement, MEV-boost permet aux validateurs l'utilisant de maximiser leurs revenus en vendant l'espace de stockage dédié à la construction des blocs aux constructeurs de blocs, séparés des validateurs proposant les blocs, dans le cadre de la PBS. L'utilisation massive des solutions MEV, en grande majorité américaines, a conduit à une censure importante. Une majorité des blocs produits ne contenaient pas les transactions que le gouvernement américain souhaitait bloquer.
Malgré cette censure effective sur le choix des transactions, le réseau reste pour le moment exempt de toute censure réelle. En effet, les transactions non conformes sont rejetées uniquement par les validateurs utilisant une solution MEV américaine. Le risque actuel concerne plutôt le temps de transaction qui augmente mécaniquement avec le taux de blocs censurés. Notons que Flashbot a rendu open-source son implémentation, permettant à qui le souhaite d'opérer un service de block builder sur le réseau.
Une mesure globale concernant la totalité des validateurs est nécessaire afin d'entraîner une censure véritable.
Ethereum est-il sécurisé ?
Ethereum n'a subi aucun dysfonctionnement depuis sa création. De nombreuses attaques ont eu lieu, ciblant toujours des applications construites sur le réseau. Aucune attaque ciblant le réseau lui-même n'a abouti.
Par essence, la blockchain procure un niveau de sécurité élevé. Chaque bloc contient une empreinte cryptographique du précédent, de telle sorte que la modification du contenu d'un bloc nécessiterait la modification de tous les blocs qui le suivent. Les informations inscrites dans la blockchain sont donc considérées comme immuables, la puissance informatique (en cas de preuve de travail) ou la quantité de jetons / le nombre de validateurs (en cas de preuve d'enjeu) nécessaires afin de corrompre l'historique des transactions relève de l'impossible dès lors que le réseau est suffisamment développé et décentralisé. Ce qui est le cas d'Ethereum.
La résilience que procure la distribution du registre sur tous les nœuds participe également à garantir une sécurité optimale.
Quelles sont les applications actuelles et à venir d'Ethereum ?
Ethereum est un véritable nid à innovation. Il est de toute évidence difficile d'imaginer aujourd'hui toutes les applications futures. Néanmoins, plusieurs champs d'applications semblent très prometteurs :
- Finance décentralisée : application naturelle du caractère monétaire de Bitcoin, c'est sur Ethereum qu'elle se développe de façon exponentielle. Plateformes d'échange incluant des produits dérivés, plateformes de prêt et emprunt, développement de jetons adossés aux monnaies fiat voire à certaines matières premières... les possibilités sont infinies, les protocoles toujours perfectibles.
- Système d'identité numérique : base de données au sein du réseau Ethereum, à laquelle il serait possible d'ajouter des données, par exemple via l'envoi de tokens de type Soulbound, contenant une information ne pouvait être ni modifiée, ni supprimée, caractérisant l'individu. Le sujet est extrêmement complexe et touche à des données particulièrement sensibles. La mise en place d'un tel système à grande échelle constitue un défi d'envergure.
- Stockage décentralisé de fichiers : système communautaire dans lequel chacun peut être rémunéré pour fournir une partie de la mémoire de son propre disque dur, l'utilisation d'espace inutilisé contribuant à réduire davantage le coût du stockage des fichiers.
- Organisations autonomes décentralisées (DAOs): ayant suscité énormément d'engouement ces dernières années, probablement moins ces derniers temps. En cause, la difficulté à structurer une telle organisation afin de la rendre efficiente. Il est aussi remis en question l'aspect démocratique d'une telle structure dans laquelle la puissance de vote est proportionnelle au nombre de jetons détenus. Le concept de « communauté autonome décentralisée », attribuant à tous les membres une part égale dans la prise de décision, peut s'avérer pertinent dans certaines situations.
- Place de marché décentralisée : intégrant le système d'identité numérique mentionné précédemment
Ainsi s'achève ce court voyage dans l'univers d'Ethereum, dont la profondeur ne cesse de croître. Ethereum est régulièrement considéré comme le futur ordinateur mondial décentralisé, à juste titre : le travail conjoint de l'ensemble des ordinateurs participant au réseau, associé à la programmabilité que permet l'Ethereum Virtual Machine (EVM), forme un socle extrêmement solide sur lequel tout devient possible.