Vers une Loi américaine visant à interdire les cryptomonnaies des GAFAM ?

Un projet de loi est actuellement en circulation dans l’antichambre du Congrès américain ayant pour ambition d’apporter une réponse et un cadre législatif aux velléités des géants du numérique de créer leurs propres monnaies.

Si Libra est bien évidemment en ligne de mire, il s’agit là d’une proposition visant plus largement à interdire à toute entreprise américaine dépassant un certain poids économique, toute initiative en matière de monnaie privée numérique.

Formellement difficile à appliquer autant que simple à contourner, cette proposition potentiellement discriminatoire aura des difficultés à franchir le stade de simple projet sur un territoire où la notion de libre entreprise n’est pas un vain mot.

Tweet et projet de Loi vs Bitcoin et Libra

Preuve s’il en était besoin que l’Ancien Monde ne se rendra pas sans combattre, c’est le jour même que le président Trump a choisi pour gratifier Libra, Bitcoin et les cryptomonnaies d’une série de tweets rageurs, qu’a filtré un document de travail de la Chambre haute du Congrès américain, concernant très directement les projets de Facebook en matière de monnaie privée.

Sous la forme d’un « draft » (brouillon) non formalisé, intitulé « Keep big Tech out of Finance Act » (« Loi pour maintenir les entreprises technologiques loin de la Finance »), ce projet de Loi a, selon Reuters, circulé au sein de la majorité démocrate qui dirige la Commission des Services financiers de la Chambre du Sénat.

Quelles sont les dispositions de ce projet de Loi ?

Si Facebook et sa monnaie Libra (encadrée par sa filiale dédiée Calibra dont le responsable David Marcus vient d’être auditionné par la commission dudit Sénat) sont ciblés sans l’ombre d’un doute, le périmètre est plus large que la seule firme de Mountain View : ce sont bien les GAFAM qui sont désignés, dans leurs œuvres actuelles, mais également à venir.

En effet, la proposition de Loi dispose en substance « qu’une grande entreprise technologique, de nature à proposer essentiellement des services en ligne, et dont le CA annuel atteint ou dépasse 25 milliards de dollars, se voit interdire de mettre en place un système monétaire tel qu’il peut être défini par le Conseil des Gouverneurs de la Réserve fédérale ». 

À défaut, une sanction d’1 million de dollars par jour d’infraction est proposée.

Autrement dit, « toi pas être banque, toi pas émettre brouzoufs ».

Pourquoi cela n’a pas la moindre chance de s’appliquer

  • Parce que Calibra échappe formellement aux législateurs américains. Même s’il est difficile d’oublier que les USA et le Dieu dollar règnent impérialement à travers le monde, difficile pour Washington de faire appliquer son droit interne sur une Fondation basée en Suisse. Facebook a pris grand soin de séparer ses futures activités financières de sa Raison sociale principale, précisément pour parer à ce type d’atteintes.
  • Parce qu’il existe de nombreuses parades tactiques. La loi passe avec son seuil de 25 milliards ? 200 avocats commerciaux et fiscalistes auront créé une énième filiale indépendante ad hoc qui respectera ce plafond avant lundi matin.
  • Parce que le texte est formellement discriminatoire. Dans le Droit américain (comme dans tout droit moderne du reste), la Liberté est la règle, l’interdiction l’exception. Difficile de justifier de pareilles dispositions dont les conditions semblent relever de la réaction à une actualité et à des barèmes issus du néant.
  • Parce que la proposition n’est pas bipartisane et augure de luttes sans fin au Congrès. Les républicains sont réputés sourcilleux sur la libre entreprise et l’innovation sans entrave. Dans l’hypothèse où ce texte serait soumis au vote, les recours et amendements le prédestinent à être vidé de toute substance avant la moindre application concrète.

Pour amatrice qu’elle puisse paraître sous sa forme actuelle, cette action parlementaire n’en demeure pas moins légitime. En effet, elle intervient en réaction aux démarches de sociétés privées qui, après avoir démontré qu’elles pesaient financièrement plus que de nombreux états, commencent à sérieusement vouloir s’accaparer certains de leurs outils de souveraineté.

Pour autant, la seule question qui demeure est d’une simplicité désarmante : que peut réellement un système de régulation démocratique face à une entreprise capable d’encaisser une amende de 5 milliards de dollars, sans le moindre frémissement ?

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